Depuis plus rien ne fut pareil. Plus personne pour me soutenir et m'encourager (Mon père ne se préoccupait pas de ces choses la. Il n'écrivait pas le français). Mes soeurs durent prendre le relais et s'occuper de ma dernière soeur Mireille née à Cabannes. Je n'eus plus beaucoup d'envies pour mes études et tournais le dos à toute ces histoires de religion. Pourtant j'aimais bien la messe mais en latin, ce qui me paraissait mystérieux surtout le chant des vieilles paroisiennes à la voix de crécelle et les orgues surtout pour la messe de minuit. Un voisin y chantait le minuit chrétien de façon que je trouvais magistale ( la petite église de Cabannes disposait d'une orgue magnifique, don d'un riche exploitant pour que son fils puisse en jouer). Enfant de coeur pendant la messe j'aimais aussi lorgner sur la chapelle de gauche où se trouvaient toutes les jeunes filles. Petits coups d'oeil innocents. J'avais je l'avoue un certain succés dans ma belle robe de couleur et ma chasuble en dentelles.
C'est à ce moment qu'un évènement changea fortement ma vie. Une famille du village que nous connaissions m'offrit une guitare. Leur enfant ne s'en servait pas. Un peu isolé par le deuil (1 an à l'époque) qui m'était imposé, je me mis à "gratouiller" celle ci et, la tristesse aidant, me mis à coucher sur le papier quelques mots, de révolte sûrement. J'écrivis des poèmes sans valeur, mais ça me faisait du bien de les chanter. J'interprétais aussi des chansons souvant tristes comme " la Mama" de Charles Aznavour ou le répertoire de Brel. Cela dura quelques années. Cela accompagna aussi mes premiers amours.
Chaques années, j'attendais impatiemment pendant les grandes vacances, la fête au village. Exceptionnellement je ne travaillais pas pendant trois jours. J'allais donc à la fête foraine mais aussi voir les courses de chevaux à l'hypodrome. Une année alors que j'allais faire de l'auto tamponneuse je suis tombé pour la première fois amoureux. C'était la fille du forain qui tenait l'attraction. Deux chansons revenaient sans cesse dans le haut parleur; " Aline" de Christophe et "Capri c'est fini" de Hervé Vilard. Effectivement ce fut vite fini car le mercredi le manège était démonté et mon amour parti vers d'autres fêtes de villages. Je fus très triste pendant des jours. J'ai dû écrire une chanson mais je l'ai perdue.Quand je pense à ces année, malgré les moments douloureux je suis envahis d'une douce nostalgie.
Un jour ma soeur Françoise fit la connaissance d'un beau jeune homme dont elle tomba amoureuse. Il s'appelait Roger Raymond et habitait Beaumes de Venise dans le Vaucluse, plus exactement le Comtat Venaissin. Ils se marièrent. Bien que ce n'était pas très loin, les nouveaux mariés firent tout pour convaincre mon père de venir dans leur village. Ils lui trouvèrent une place dans une exploitation agricole près de Notre Dame D'Aubune. C'était un domaine viticole. Il y avait une cave où l'on faisait du vin, du Beaumes de Venise noir et rosé, appellation Côtes du Rhône bien sûr, mais aussi le fameux muscat des Papes, vin doux naturel seul avec le Rasteau à bénéficier dans la vallée du Rhône de cette appellation. Nous voilà donc toute la famille une nouvelle fois partis avec toutes les contraintes; déménagement, changement d'école, changement de vie.
La maison se trouvait tout près de la chapelle en haut du domaine dans la colline (la côte). Il y avait une vue magnifique sur la plaine de Carpentras et tout l'arrière n'était que bois, rochers et garrigues. l'idéal pour réver. J'y effectuais de multiples promenades solitaires. C'était super. Il n'y avait pas plus de confort qu'à Cabannes sinon l'eau de la Source ( la même qui alimente la fontaine dans le centre du village) tout près de la maison. L'avantage est qu'elle était gratuite mais il n'y avait pas beaucoup de pression ce qui en limitait l'utilisation (pas de douche). Seule pièce chauffée la cuisine et sa cuisinière à bois. Plus tard nous avons installé deux poêles à mazout dans les chambres. Il ne faisait pas chaud. Les hivers à l'époque étaient plus rudes qu'aujourd'hui. L'hiver il fallait faire les devoirs dans la cuisine, seule pièce chauffée, au milieu de l'activité des autres membres de la famille.
Il y avait un grand jardin pour cultiver des légumes près du canal de Carpentras en contrebas, commode pour l'arrosage. Mon père y passait la majorité de son temps libre. Il avait aussi aménagé un poulailler près de la maison. Beaucoup moins de volailles toutefois qu'à Cabannes. Moins de fruits aussi mais du raisin et du vin à volonté. Nous étions à environ deux kilomètres du village. Mon père y allait tous les dimanches jouer à la pétanque sous les platanes. C'est bien la première fois que je le voyais faire autre chose que travailler. Pour moi nouvelles activités pendant les vacances dans les vignes. J'adorais les vendanges toujours très festives surtout les repas. Nous barbouillions la figure des filles avec le raisin.
Pour moi un nouveau lycée à Carpentras, sous préfecture du département, située à une vingtaine de kilomètres. Un car de ramassage scolaire passait en contrebas de la ferme. Il nous emmenait et nous ramenait du lycée Jean Henri Fabre où je m'étais inscrit.
C'était un lycée technique situé sur une petite colline au milieu des pins à l'entrée de Carpentras sur la route de Mazan. On y apprenait tout ce qui était technique et préparait au bac de technicien, pour moi option fabrication mécanique. Pourquoi ce choix qui ne me correspondait pas du tout (en plus les débouchés n'étaient pas évidents dans cette région principalement agricole). Mais je présume que je n'avais pas le choix. Travailler en atelier sur des machines outils ( dépassées en l'occurence ) ne m'enchantait pas vraiment mais enfin. En bon élève je faisais des efforts. Deux évènements sont toutefois venus perturber ce cycle scolaire; un accident en première et une maladie en terminale qui m'ont fait perdre une année.
L'accident se produisit à la fête d'Aubignan, village tout près de Beaumes de Venise. Il y avait dans celui ci un club taurin .(rare dans cette région plutôt éloignée de la Camargue berceau de ces activités liées au chevaux et taureaux) qui organisait chaque année des manifestations autour des courses de taureaux comme la course à la cocarde, le toro piscine etc...dans une petite arène à l'orée du village.
A Cabannes c'était une tradition. Il y avait une petite arène où se déroulaient régulièrement l'été des courses de taureaux pour tous les niveaux et auxquelles tous les adolescents participaient. J'avais d'ailleurs, lors d'un simulacre de corrida, reçu mon premier coup de corne, sans gravité heureusement. Mes parents nous faisaient participer chaque année à la férade organisée par le club taurin local. Nous partions tôt le matin en car vers les Saintes Maries en Camargue. Nous y passions la journée. Le matin il s'agissait d'attraper les jeunes taureaux pour les marquer au fer rouge du sceau de la manade. Ensuite nous déjeunions dehors autour de grandes tablées. On nous servait notamment la "gardianne" (sorte de daube), spécialité à base de viande de taureau cuisinée au vin rouge. L'après midi jeux divers autour des chevaux et des taureaux dans et près de l'arène aménagée pour la circonstance. On y retrouvait les copains. Nous passions une journée merveilleuse. Je me suis donc un peu senti obligé de participer à la manifestation organisée à Aubignan, sûrement un peu pour crâner devant les nouveaux copains. Le jeu consistait à se tenir debout sur un gros bidon au milieu de l'arêne alors que l'on lachait normalement un petit taureau. En fait celui qui a été laché était plutôt imposant ce qui m'a déstabilisé. J'ai donc essayé d'aller me réfugier derrière les barricades. Je suis malheureusement tombé et le tauraux dans sa course m'a donné un coup de sabot dans la machoire. Triple fracture. Je me suis retrouvé fort heureusementi à l'hôpital de Montpellier dans l'Hérault, spécialisé dans ce genre d'intervention. J'aurais bien pu me retrouver à l'hôpital de Carpentras mais le chirurgien heureusement n'était pas là ( il n'avait pas très bonne réputation). J'ai peut être eu beaucoup de chance. J'ai donc passé plusieurs mois à l'hôpital les dents bloquées par des fils de fer pour que la machoire se ressoude. Je ne pouvais avaler que du liquide. C'est là que j'ai pris goût au fromage blanc.
Mon année scolaire était donc bien compromise et j'ai bien sûr redoublé ma première. Par contre à l'hopital je m'étais fait un ami qui me fit découvrir un univers poêtique que je ne connaissais pas; Boris Vian ("Le déserteur") et surtout Brassens ("supplique pour être enterré sur la plage de Sète).Il écrivait des poèmes et je m'y mis aussi. Nous nous entraidions amicalement.