Au plus loin où remonte ma mémoire, je me vois assis, assez désorienté, sur le bord d'un escalier dans un réduit triste et sombre. C'était dans notre petit appartement prés de la chapelle Ste Anne des Pénitents Blancs à Isola. J'avais un peu moins de 3ans.
Ma tante Anne Marie qui était venue à Isola ( Elle arrivait de Boulogne sur Mer sa ville d'origine pour épouser mon oncle Ange, le frère de ma mère), m'a toujours dit que je pleurais beaucoup. Il faut dire que j'avais été placé, ainsi que ma soeur Françoise qui a 3ans de plus que moi, dans une famille d'accueil à Flavigny près de Nancy pour me préserver de la tuberculose dont était atteint mon père ( Il avait été envoyé en sanatorium en Provence à Lourmarin dans le Luberon pour plusieurs mois). De ce fait je ne reconnaissais plus ma famille et je réclamais parait-il toujours le grand père de cette famille d'accueil qui s'était beaucoup occupé de moi. De lui je me souviens seulement d'une promenade aux champs au milieu d'une forêt sous un soleil éclatant où chantaient des milliers d'insectes. De la maison je me remémore également le jardin en fleurs, sa grille et son portail donnant sur une rue qui me semblait elle aussi fleurie. C'est peu mais il y a si longtemps. Lambeau de mon enfance qui reste gravé dans ma mémoire comme tous les moments importants qui ont jalonnés ma vie.
Je ne suis pas né à Isola mais tout près de là à Saint Etienne de Tinée, le chef lieu du canton, où il y a toujours un hopital faisant également office de maternité. C'était un luxe à une époque où de nombreuses femmes accouchaient encore souvent chez elles dans ces coins reculés de la montagne.
Mon père originaire du village de Démonte dans le Piémont, donc Italien, avait rencontré ma mère pendant la dernière guerre alors qu'il était soldat à Chastillon ( lieu dit au dessus d'Isola, sur la route du col de la Lombarde) alors occupé par les soldats italiens. Ma grand mère y avait une grange juste à coté de fortifications en béton construites par l'armée Italienne (On ne voit plus aujourd'hui que les ruines de la grange, mais les blockaus (constructions défensives en béton) sont toujours là, indestructibles, mais à priori inefficaces vu l'issue de la Guerre). Gamin, j'y ai plus tard souvent joué. C'était assez impressionnant ces longs couloirs sombres qui les reliaient les uns aux autres et ces restes de mitrailleuses rouillée. Ma mère y gardait les chèvres. Comment se sont-ils rencontrés? je ne sais pas. L'amour à priori n'a pas de frontières. Faut dire que mon père dans son uniforme de chasseur alpin avec son chapeau à plume et ses yeux bleus et clairs était superbe. Il ne les a malheureusement transmis à personne.
Le village de Démonte se trouve seulement à quelques kilomètres du col de La Lombarde sur le versant italien et tous les jeunes devaient certainement se connaître. Il ne faut pas oublier qu'avant 1860 le Conté de Nice et le Piémont étaient sous la même coupe des comtes de Savoie. Ce qui explique qu'une partie des soldats italiens aient refusé de combattre et ont même pour certains déserté. Je soupçonne mon père de l'avoir fait. Il ne parlait jamais de cette période sinon qu'il serait parti aux Dardanelles puis revenu à pied par la Russie ce qui semble peu probable. De même il ne parlait jamais de sa famille restée en Italie, peut être pour cette raison. Je sais juste qu'il avait 7 frères dont il était le cadet et une soeur qui était l'ainée. J'ai rencontré cette dernière plus tard plusieurs fois à Cuneo. Elle était mariée à Guido qui était un homme super gai et très gentil. Ils sont plusieurs fois venus nous rendre visite en France.
J'ai très peu de souvenirs de cette époque sinon que mes parents ont beaucoup soufferts de cette union considérée comme inacceptable par certains habitants du village. Ils n'en parlaient jamais. Mes oncles me l'ont seulement fait comprendre. Si bien qu'ils ont très vite cherché à fuir cette situation mais aussi, je l'imagine, pour trouver une meilleure vie (mon père était alors bucheron métier dur et peu rémunérateur j'imagine). Nous avons donc déménagé dans le département du Var voisin, mon père devant s'occuper d'une exploitation propriété d'un médecin de Draguignan (à l'époque chef lieu du Var).
J'ai des souvenirs impressionnants et précis de cette époque bien qu'elle n'ait pas duré très longtemps, un ou deux ans à peine.
Imaginez vous un ancien relais de diligence (le lieu s'appelle La Colle Blanche), immense avec de nombreuses et vastes pièces habillées d'énormes cheminées dans lesquelles on aurait pû faire cuire un boeuf entier. Nous n'habitions qu'une faible partie de cet immense ensemble auquel étaient accolées de nombreuses dépendances dont une écurie pour les vaches. Le tout était situé sur une colline au milieu d'une forêt avec un étang (ou un bassin) des oliviers et des patures. Quelques centaines de mètres nous séparaient de la route. A plus d'un kilomètre (où deux) se trouvaient le premier voisin et à au moins 5 kilomètres le village de Callas. Mon père y allait tous les dimanches matin à pieds à travers bois pour y faire quelques courses.
Les images qu'il m'en reste sont très précises: les sangliers dans la cour, le chant de milliers de grenouilles le soir tombé, les énormes papillons de nuit qui tapissaient certaines pièces inhabitées. Bien sur il n'y avait ni eau à l'intérieur, ni électricité. Nous nous éclairions à la lampe à carbure et faisions du feu dans la cheminée de la cuisine, seule pièce chauffée. Malgré tout celà nous passions ma soeur et moi des journées merveilleuses non seulement à jouer mais aussi à garder les vaches notamment pour qu'elles n'ailles pas brouter les luzernes ce qui n'était pas évident à notre âge ( j'avais à peu près 5 ans). Je me souviens encore du jour où elles se sont échappées et de notre poursuite au delà de nos plus proches voisins avec leur aide et celle de mon père. On aidait également ma mère à préparer les olives en les trempant dans la saumure. Il m'en reste encore l'odeur.
Le dimanche était le jour de la chasse pour des hommes venus de Draguignan. C'était un jour super car ils nous apportaient toujours une petite friandise. Ca nous faisait également une distraction. De même une fois par semaine passait l'épicier ambulant et c'était le jour du cadeau Bonux qui se trouvait dans les boites de lessive. C'était un vrai plaisir. Un des chasseurs emmenait souvent ma soeur Francoise à Draguignan pour quelques jours dans sa famille. Ils avaient une fille de son âge. Quelque fois mon oncle Jean et ma tante Olga nous rendaient visite. Ils habitaient à Nice. Ils venaient dans leur petite 4 CV.
Malgré tout la vie était difficile pour mes parents et surtout pour mon père. Il disait que lorsque nous partions en vacances (ma mère nous emmenait à Isola chez ma grand mère chaques étés) il avait si peur qu'il allait coucher à l'étable avec les vaches pour sentir un peu de présence. C'est dire. Outre ces doux souvenirs me reste de cette époque de vraies cicatrices. Celles de brulures dans le bas du dos. La femme du médecin n'avait rien trouvé de mieux que de conseiller à ma mère de m'appliquer de l'alcool à bruler pour soigner mon énurésie (pipi au lit).
Nous sommes donc à nouveau partis pour un domaine viticole entre Lorgues et Draguignan chez la famille Damiano.
Là, retour à la civilisation mais pour moi une nouvelle vie avec mes 6 ans et l'école obligatoire. Nous allions tous les matins ma soeur Françoise et moi au bout d''une longue allée de muriers attendre un car qui nous emmenait à l'entrée de Draguignan où se trouvait l'école. Rien de particulier sinon le petit panier en osier qui me permettait d'emmener le repas de midi (pas de cantine) et les copains, nouveau pour moi dont un, Jean Noël Boyer deviendra un très bon amis. Il habitait pas très loin. Nous courions la campagne sur nos beaux vélos et nos mères était devenues amies.Je me souviens que souvent elles chantaient. Ma mère avait une très belle voix et juste. Elle chantait Edith Piaf quelle adorait. Un autre souvenir particulier, celui de soldats qui passaient sur leur camion et qui nous lançaient des bonbons et des chocolats lorsque nous attendions le car sur le bord de la route.