La vie était plutôt joyeuse dans ces années d'insouciance. Ecole, jeux et travail.
Nous venons de le voir pour ce qui concerne l'école. En dehors de celle ci je jouais beaucoup avec les voisins (Alain et Jean Luc Pitras) et des copains d'école qui nous rejoignaient. Je n'avais pas vraiment de jouets alors j'en construisais: des planches à roulettes avec des roulements à billes que je trouvais à l'atelier, des épées, des arcs, des boucliers. J'avais même fabriqué une guitare et une cythare qui avaient bien entendu la forme mais pas le bon son. J'aménageais des cachettes dans les piles de caisses qui servaient à ramasser les pommes ou dans les canisses (canes coupées qui servaient à faire des clotures) qui nous donnaient des boutons. J'avais même nettoyé un ancien bassin pour en faire une piscine alimentée par l'eau de la Durance.
J'avais construit une cabanne en bois qui servait de lieu de réunion. J'y avait fait une réserve de "bois fumant" que nous fumions allègrement sans toutefois avaler la fumée. Ce n'était pas très bon mais ça faisait " Grands". On achetait également quelques P4, cigarettes les moins chères confectionnées parait-il avec les mégots récupérés dans les villes notamment à Paris. C'est peu être pour cela que je n'ai plus jamais fumé depuis. Ce n'était pas très bon. Nous allions souvent courir dans les champs jusqu'à la Durance qui n'était pas très loin. Nous pêchions parfois. Nous chassions aussi avec des lances pierres que je confectionnais et bien sûr nous faisions encore d'interminables parties de foot.
Le jeudi il n'y avait pas école. Nous allions l'après midi chez un camarade qui avait la télévision (rare à l'époque) pour voir le film Rintintin, histoire d'un chien qui faisait des exploits avec l'armée américaine du temps des cowboys. C'était super. Un peu plus tard, malgré son coût, nous avons eu nous aussi la télévision, en noir et blanc bien sûr et avec une seule chaîne. Cela nous a permis de nous ouvrir sur le Monde. Il y avait de superbes émissions pour nous comme la "Piste aux Etoiles" sur le cirque, des feuilletons comme les "Chevaliers du ciel", "Le Temps des copains" ou "Thierry la fronde" que l'on suivait le soir avant de dinner et de regarder bien sûr " Bonne Nuit les Petits" dessin animé pour les enfants. Par contre, moins réjouissant, je me souviens très bien de l'angoisse que nous avait occasionné la crise des missiles nucléaires russes à Cuba en octobre 1962. Nous en suivions l'évolution quasiment en direct.
Le dimanche après la messe nous avions le droit d'acheter des friandises ( dont les fameux "Mistral Gagnant de Renaud). J'achetais également des timbres dont j'avais commencé la collection à partir d'un petit stock que l'on m'avait donné. Je les ai toujours. L'après midi j'allais souvent au stade voir des matchs de foot et quelque fois au cinéma. J'y ai vu quasiment tous les films de "Rosellito" le petit chanteur espagnol que j'adorais. Il avait une voix superbe.
Ma soeur Anne Marie se joignait quelque fois à nous et ma soeur Francoise, qui était plus grande, me faisait découvrir et écouter des disques de chanteurs dits "Yéyé," nouvelle mode. C'était l'époque de " Salut les Copains". Elle s'était abonnée à ce magazine. C'est à cette époque que j'ai entendu pour la première fois parler et chanter un groupe anglais qui commencait à se faire connaître, les Beatles. C'était une révolution. Ce fut la même chose lorsque j'ai entendu un peu plus tard sur le juxe box du troquet près du lycée "Satisfaction" des Rolling Stones. Depuis je critiquais systématiquement tous ces chanteurs qui ne vivaient que de reprises de standards anglais. J'avais quelques 45 tours des Beatles de leur début, mais je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.
Sinon au delà des jeux je devais participer à mon niveau aux travaux de la famille J'alimentais notamment la basse-cour qui était nombreuse avec ses lapins, ses pigeons, ses faisans, ses poules et ses canards. J'aidais notamment ma mère à dépecer les lapins, à plumer les poules et autres volatiles. Il était de tradition de manger une volaille le dimanche. Je me souviens très bien du jour où mon père accaparé à d'autres tâches m'a demandé de m'occuper du canard. Il fallait lui couper la tête sur un billot. Malheureusement j'ai été surpris par son agitation et je l'ai laché. Il est parti sans sa tête sur le petit ruisseau qui longeait l'arrière de la maison. Je ne me rappelle plus comment nous l'avons repêché.
J'allais également aider mon père au jardin. Il était grand. Il cultivait toutes sortes de légumes; salades, tomates, pommes de terre mais aussi du maïs pour nourir la volaille. Je n'aimais pas déterrer et ramasser les pommes de terre. Ca faisait très mal au dos. La boucle était bouclée. Nous étions quasiment autonomes. On ne manquait pas de fruits car c'était l'activité principale du domaine. Malgré nos peu de moyens, nous avons toujours mangé à notre faim et plutôt seinement et bien car ma mère était une très bonne cuisinière (ses raviolis et son tiramitsu étaient un délice). Le mardi c'était le marché au village et nous avions droit au traditionnel steak de cheval soit disant très bon pour la croissance. Au retour de l'école ma mère préparait un mélange de jaune d'oeuf et de vin ce qui était parait il un bon fortifiant, sans oublier l'inévitable huile de foi de morue. L'hiver on nous posait des ventouses pour soigner les gros rhumes et on faisait régulièrement des inhalations à base de plantes aromatiques. J'ai souvenir également d"avoir ramassé des sangsues dans les ruisseaux. Ca servait parait-il à drainer le sang. Je ne me rappelle plus ce que l'on en faisait.
Dès 12 ans j'ai passé la quasi totalité de mes grandes vacances scolaires à ramasser des fruits. Je peux vous dire que j'en ai mangé des kilos et des kilos et des plus beaux si bien qu'aujourd'hui encore j'ai du mal à manger ces fruits de super marché dans leur panier. J'étais payé 1 franc de l'heure, pas pour moi mais pour ma famille comme c'était l'habitude dans les familles italiennes. Ce que j'aimais avant tout c'était de conduire le cheval qui s'appelait Ponpon, puis après de conduire le tracteur. Je me souviens très bien du jour où on m'a demandé de transporter des caisses de fruits dans une autre ferme. Je devais traverser le village. J'étais très fier. Je me souviens également du jour où Ponpon s'est emballé et est parti au galop dans les chemins trainant la charette sur laquelle je me trouvais avec une ou deux autres personnes. C'etait assez impressionnant pour que je m'en souvienne.
Certains dimanches j'allais dans les réunions paroissiales qui se tenaient un peu partout dans les villages voisins notamment à Orgon où il y avait, située sur une colline ( le Pieu) dominant le village, une chapelle au milieux des pins. Nous y passions des supers dimanches à courir mais aussi, c'était la contrepartie, à prier. On nous apprenait la vie des Saints. Mais c'était une bonne façon de s'échapper un peu de la vie familiale d'autant plus que mes parents n'ayant jamais eu de voiture nous avions peu d'occasions de voyager. J'eus donc la chance grace à notre curé de passer une semaine à Lourdes. C'était la première fois que j'allais aussi loin sans mes parents. Sinon les voisins quelques fois et mon oncle et ma tante de Lille quand ils venaient en vacances chaque été, nous faisaient un peu visiter la région. Ma mère nous emmenait quand même régulièrement à Isola voir notre grand mère. Elle nous préparait de la soupe de châtaignes et de grandes tartes aux fruits que nous portions le samedi au four communal sous le clocher à deux pas de sa maison près de la place Vieille. Nous partions souvent plusieurs jours dans ses 3 granges dans la montagne. Nous dormions dans le foin sur des sacs de jute. Quelle odeur. Je la sens encore.Nous nous lavions à l'eau de la source qui coulait devant la grange dans des goutières de bois creusées par mes oncles dans des troncs de mélèze. Mon oncle Fernand avait dressé ses chèvres pour qu'elles nous disent bonjour en arrivant.. Que de bons souvenirs.L'été nous passions un mois en colonie de vacances, pour moi à Auroux près de Langogne en Lozère. On ramenait des seaux remplis de petits poissons (éperlans) et de champignons. Ils étaient préparés le soir même et nous les mangions avec gourmandise autour d'un grand feu de camp.
Ce n'était donc pas, comme le dit la chanson, la misère. L'hiver nous allions quelques fois le soir tombé chez des amis italiens pour la veillée. On suivait un long ruisseau dans la nuit avec une lampe électrique accompagnés du chant des grenouilles et des splashs dans l'eau lorsque nous passions tout près. A l'arrivée nous mangions les chataignes qui grillaient dans la cheminée. Mon père et son collègue italien entamaient des chants napolitains à deux voix. Mon père avait la voix la plus haute, juste et très fluide. Ce sont les seuls moments où je l'ai entendu chanter. Je ne l'ai d'ailleurs jamais entendu se mettre en colère sauf une seule fois après ma soeur Françoise qui avait osé rentrer le soir après la permission de minuit. Inadmissible pour un italien.
Première déception quand je découvris, dans un réduit sous les outils, les cadeaux de Noël que mon père avait cachés. Ce n'était donc pas le père Noël. Puis à 14 ans quand je reçu en cadeau, pour ma réussite au certificat d'études, un superbe vélo de course alors que la plupart des autres élèves avaient eu droit à une petite moto (mobylette habillée en petite moto appelée Malaguti). Je commencais à percevoir les différences de conditions sociales. Je n'avais pas leur mobilité, importante à la campagne et me sentais pour la première fois opprimé. Heureusement un peu plus tard, un copain qui avait une Vespa venait me chercher et me transportait pour aller dans les fêtes de village tout autour. Plus tard je pus utiliser la mobylette de ma soeur Françoise.
Sinon mes parents, surtout ma mère, ayant toujours eu pour moi de l'ambition ( plus que pour mes soeurs dont l'avenir était plutôt lié à leur mariage comme c'était le cas dans les familles italienne à l'époque) fit des pieds et des mains pour obtenir que je puisse continuer des études au collège. J'ai ainsi pu profiter d'une disposition nouvelle qui permettait de rentrer au collège, directement en 4ème, après le certificat d'étude. C'était les 4èmes d'accueil où on nous faisait rattraper le retard pris ( 6ème et 5ème).
Je prenais ainsi tous les matins le car qui nous emmenait à l'entrée d'Avignon en passant par Noves et Chateaurenard.
Tout se passa plutôt bien. J'avais régulièrement des prix, ce qui se manifestait par la remise d'un livre (je me souviens de La Guerre du feu) en fin d'année lors d'une petite cérémonie (ils étaient rouges. On en trouve beaucoup dans les brocantes aujourd'hui. J'en ai d'ailleurs acheté plusieurs en souvenir) et je réussis brillamment mon brevet. J'étais plutôt bon en sport (saut en hauteur, saut en longueur et sprint). C'est là que je me découvris une passion pour le dessin et les art graphiques grace à un prof qui avait un esprit ouvert vers le moderne. Comme je n'avais pas de moyens, je me souviens que je recupérais des photos de tableaux dans les livres de la bibliothèque (ce qui n'était pas très malin je l'avoue) et que je feuilletais les planches du dictionnaire que l'on m'avait offert pour ma réussite à l'examen. Il y avait peu de livres à la maison.
J'étais très fier de l'annoncer à ma mère qui était alors à l'hopital d'Avignon, déjà bien atteinte d'une tumeur au cerveau. Elle décèdera un an plus tard après avoir fait un long séjour à la Timone, grand hopital de Marseille, spécialisé dans les cancers. Elle n'avait que 39 ans. Ce dont je me souviens c'est qu'après avoir culpabilisé de ma non réaction à l'annonce de sa mort je me suis effondré en pleurs le jour suivant ne pouvant plus me maîtriser.