Réellement j'étais alors dans une période difficile, amours tumultueuses de jeunesse, recherche d'un travail, recherche d'identité. Dans la journée qui suivit, comme je n'avais pas sous la main de pelotes de laines et que mon feu d'artifice s'était éteint, cela s'est traduit par des collages de chiffons de chanvre et de lin parce que c'est tout ce que j'avais sous la main. Cela aurait pu être de la soie ou quelques autres étoffes précieuses mais il n'y en avait pas chez nous. C'est depuis ce jour là que je compris la puissance et la force d'expression des objets et des choses en général, même les plus humbles, surtout lorsqu'on les sort de leur contexte habituel et que la peinture pouvait être autre chose que des couleurs assemblées sur une toile. C'est depuis ce temps là que je les accumule pour pouvoir les assimiler et les utiliser à chaque fois que m'en prend le besoin. C'est depuis ce jour là que mon art tient avant tout du RECYCLAGE. Un ensemble d'objets n'est toutefois pas plus un tableau ou une sculpture qu'un tas de pierres n'est une maison. Tout l'intérêt réside dans leur ASSEMBLAGE.
Et les CASSURES?
J.P.B: Elles découlent de la même recherche d'expression au travers de matériaux simples mais nobles qui me rappellent mon enfance à la montagne et la campagne. Ce fut dans ce cas des bouts de bois déjà façonnés mais abandonnés que j'ai volontairement arrachés à leur milieu pour mieux les rassembler, leur donner une nouvelle vie. Une RENAISSANCE, un SAUVETAGE en quelque sorte. Mais il y avait en plus l'épaisseur, le volume, la texture. J'y pris tant de plaisir que très vite je me suis mis à la sculpture proprement dite qui elle non plus ne m'a plus quitté comme l'idée de REFORMULATION d'ailleurs.
Vous étes en fait plus sculpteur que peintre.
J.P.B:C'est vrai que cette troisième dimension me manquait. La représenter sur une toile me semblait bien superficiel. Pouvoir tourner autour de l'oeuvre, la transpercer, la caresser, c'est un plaisir unique, sensuel. En peinture, j'ai en effet très vite abandonné l'utilisation classique de l'huile et du pinceau sur le support non moins classique qu'est la toile. A travers les collages et assemblages de matériaux divers, j'ai cherché plutôt à faire s'exprimer la matière mais toujours avec un minimum d'intervention de ma part pour chasser le coté purement nature. Ce qui m'importe en fait, c'est moins la réalité des objets présentés, leur matérialité, leur forme, que la vérité qu'ils manifestent, la sensibilité qu'ils produisent, l'universalité que représente une oeuvre. Après la destruction, la RECUPERATION, l'acte créateur de RECONSTRUCTION, de TRANSFORMATION, le dernier sursaut qui vous empêche de périr, SAUVETAGE de l'AUTO-DESTRUCTION de l'Homme.
C'est aussi cette idée qui s'exprime dans les sculptures de bois d'olivier. A travers un art qui peut apparaitre au premier abord violent, pessimiste, nihiliste, c'est en fait un grand message d'espoir qui se dégage et qu'il faut saisir contrairement à ce qu'expriment beaucoup de tendances actuelles en art qui veulent sa destruction. L'art abstrait ne se contente pas d'être contemplé. Il demande un minimum d'effort de compréhension, d'implication, de participation du "regardeur". C'est pourquoi à mon avis il n'est pas toujours bien accepté et compris sinon d'une élite qui a fait cet effort ou fait semblant. Mais les artistes ne font pas toujours ce qu'il faut pour cela.
Vous étes pourtant revenu assez vite à la peinture et aux pinceaux et même, à partir de 1975, a une peinture beaucoup plus calme et d'apparence moins expressive.
J.P.B: Avec les cassures et les déchirures j'étais certainement allé beaucoup trop loin à cette époque. Il est toujours difficile pour un artiste qui sentant qu'il a atteint une limite, de franchir celle ci avec le risque de n'y trouver que le néant, un peu comme se donner la mort par exemple pour savoir si Dieu existe. C'est pourquoi j'ai certainement inconsciemment non pas fait un pas en arrière, mais suivi un autre chemin sans abandonner toutefois mes recherches et l'expression se retrouve quand même tout entière dans les tableaux LYRIQUES de 1974. Elle s'exprime en effet différemment par la vitesse d'exécution pour éviter l'anecdote et par les couleurs, violantes souvent il est vrai.
Si c'est exact pour vos peintures jusq'en 1974, 1975 semble marquer une rupture complète. Tout d'abord avec le retour à une certaine figuration avec les DESSINS D'ENFANTS et ensuite dans les VARIATIONS dont la conception même ne laisse guère de place à l'expression.
J.P.B: C'est exact, mais c'était parce que parallèlement je venais de donner vie à ma plus grande, ma plus belle oeuvre, celle dont je suis le plus fier, mon fils Guillaume. Quel plaisir de voir grandir, évoluer, cette sculpture vivante qui est de plus une partie de vous même. RENAITRE, REVIVRE dans un autre pour ne pas tout à fait disparaitre, quel enchantement pour un artiste. La nécessité de procréer, comme celle de créer est certainement pour le SCORPION que je suis, le besoin de laisser une trace de son passage sur cette terre, de ne pas mourir tout à fait. Je me suis occupé pendant presque 10 ans beaucoup plus de ce petit moi même que de peinture et de sculpture parce que l'un se substituait complètement à l'autre et compensait le même besoin, celui de survivre. Cela n'aura toutefois pas été vain puisque un instant mon fils s'est mis à peindre et écrire lui aussi mais, si cela n'a pas eu de suite, c'est resté un peu ancré en lui comme un espoir.
La série des DESSINS D'ENFANTS est tout à fait en rapport avec leur nature, c'est pourquoi je les ai appelé BEAUTE, INSOUCIANCE, PURETE etc. C'est bien la meilleure période de la vie quand on a des parents qui vous aiment. Dans les VARIATIONS qui ont suivi, j'ai certainement inconsciemment voulu montrer l'évolution rapide que l'on constate en ces moments là et qui fait que progressivement, inéluctablement, ce deuxième soi même nous échappe pour devenir un être autonome, d'où ce retour à une création artistique plus pure, ce nouveau passage d'un rêve à un autre.
Paradoxalement, la fin de cette période qui correspond aussi à une séparation, n'apparait pas comme une rupture dans votre oeuvre.
J.P.B: C'est tout simplement parce qu'entre temps j'ai psychiquement fortement changé. On structure je pense son tableau comme on STRUCTURE avec le temps sa vie intérieure. Par un grand travail sur moi même, je suis arrivé à mieux canaliser les agressivités et moi, capable de tous les excés, j'ai réussi celui d'inverser partiellement ma personnalité pour devenir plus ordonné, plus méthodique, plus appliqué. J'ai gardé mon énergie mais je sais beaucoup mieux l'exploiter. Je m'appuie sur elle pour essayer de réussir à la fois ma vie et mes désirs grace à ma volonté. Je l'ai mise au service de ma peinture et ma sculpture pour les synthétiser, les simplifier, pour leur donner une force plus spirituelle, plus de monumentalité, tout en restant toujours au niveau et à la mesure de l'Homme.
De sensuel, instinctif, matériel, mon travail est devenu plus intellectuel, plus raisonné, plus idéal peut être, plus citadin aussi depuis que j'habite Paris. Mon rapport au tableau s'est dépassionné ce qui lui donne d'autant plus de force, du moins une autre force.
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